"Raoul Paimpon, l’homme gyrophare", est le surnom que donnât Bernard Lamarche-Vadel à Hervé Perdriolle au début des années 80. Surnom évoquant l'activité hétéroclite, mélange d'énergie, de naïveté et d'humanisme baba-cool, de celui qui allait être reconnu comme le promoteur de la figuration libre.

On connaît Hervé Perdriolle essentiellement par son travail de graphiste, en tant que maquettiste de le revue Artistes créée par Bernard Lamarche-Vadel en 1979, par ses premières manifestations et expositions de la figuration libre au début des années 80, par l’exposition qu’il organisa avec Otto Hahn au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1984 réunissant les acteurs français de la figuration libre et leurs homologues américains (Haring, Sharf, Crash, Tseng Kwong Chi et Basquiat qui participait là à sa première exposition en France), enfin par son engagement auprès des frères Di Rosa concrétisé par la création de la société Di Rosa (responsable de tous les produits dérivés et de nombreux évènements spéciaux) et celle de l’Art Modeste (à travers ses deux premières boutiques et sa galerie), enfin par son travail de recherche sur l'art tribal entrepris en Inde depuis 1996.

Mais personne ne connaissait jusqu’à présent l’existence de Raoul Paimpon qui, de fait, n'existât réellement que dans l'esprit facétieux de Bernard Lamarche-Vadel. En donnant comme titre à son exposition ce surnom de Raoul Paimpon, Hervé Perdriolle rend hommage à cet ami, récemment disparu, qui fut au début des années 80 son mentor. Mais aussi et surtout, Hervé Perdriolle essaye aujourd'hui de transformer ce sobriquet en un pseudonyme salutaire.
"Trop seul, trop de solitude, je n'en peux plus, psychologiquement je suis épuisé, troublé, perturbé. Mon esprit ressemble à l'atelier d'un artiste qui continue inlassablement de produire sans rien vendre, encombré, plus d'espace, saturé ! J'aimerais être vieux et n'avoir plus qu'à raconter ma vie, mes rencontres, des anecdotes, des histoires comme dans les "Histoires de l'Oncle Paul" des Tintin ou Spirou de mon enfance. Être assis, entouré d'enfants et seulement raconter. A Raoul de monter à présent au front. Voilà plus de vingt ans qu'il vit à l'ombre, confortablement installé dans un recoin de mon cerveau. Je sais qu'il en a l'énergie et même une envie folle, encore et toujours irréfrénable. Moi, Hervé Perdriolle, j'aspire au repos, à la tranquillité d'esprit, au simple murmure du souvenir partagé".

Cette exposition composée essentiellement d'un grand nombre d'archives soigneusement conservées par Hervé Perdriolle depuis plus de trente ans (coupures de presse, correspondances, œuvres personnelles ou issues de sa collection, simples images ou objets glanés de-ci de-là, travaux de graphisme, textes pour la plupart non publiés), peintures et dessins collectés en Inde, est un éloge à l'éclectisme, hier décrié, aujourd'hui salué.



Souvenirs de voile, années 70. La côte Mauritanienne, le désert: un mur de sable dans le ciel. La nuit, le plancton phosphorescent: prendre de l'eau dans un seau et la rejeter à la mer: gerbes de lumières. Zone non hydrographiée, absences de repères, les bancs de sable se déplacent constamment, les yeux rivés sur le sonar. Après quelques jours et nuits (peut-être une ou deux seulement ?), la fatigue, impossible de faire le point. La côte, le désert. Au loin, un chamelier: une idée !. Lui demander où nous sommes. L'on met le zodiac à l'eau. En compagnie d'une autre personne, je me rapproche de la côte, puis perd le contrôle de l'embarcation, la vague nous retourne à quelques centaines de mètres du rivage. Ne pas s'affoler, prendre son temps: quoi faire d'autre ? Rester à la surface de l'eau, le plus allongé possible pour se laisser porter par le courant. Enfin le bord, le sable. Harassé, envie d'en finir à pied, mettre le pied sur le sol, sur le sable. Erreur, le ressac est d'une telle force que, même avec de l'eau seulement à hauteur de cheville, il vous remmène vers le large. Prendre son mal en patience, ne pas paniquer, ne pas céder à la fatigue, s'allonger de nouveau à la surface de l'eau et se laisser porter jusqu'au rivage, s'y laisser déposer sur le sable. Jamais bu autant d'eau, enfin ramassé sur le sable, en maillot de bain, dans le désert, sous le soleil du désert. Le chamelier est toujours là, guettant le dénouement de notre aventure aquatique.
Le désert vide, comme dans les récits ou les films, des têtes apparaissent de ci de là derrière les dunes. Nous nous retrouvons entourés d'une quinzaine d'individus, on nous donne à manger, nous regarde avec perplexité. L'un d'entre eux à ces mots qui se veulent réconfortants: "si cela m'était arrivé, je me serais sûrement noyé." De fait, la barre, sur cette partie précise de la côte, à la réputation d'être infranchissable. Pour cette raison, il n'y a pas de pêcheur dans cette région. Renforcé par l'effet de perspective, nous voyons le mât de quinze mètres du voilier disparaître et réapparaître, au rythme des vagues, derrière cette fameuse barre. Ils essayent de nous venir en aide, de se rapprocher et de jeter un filin à la mer pour tenter de nous rapatrier. Sentant le danger, je leur écris en lettres géantes, sur le sable des plus hautes dunes, ne pas se rapprocher, de s'en aller, que l'on se retrouvera à Saint Louis du Sénégal. Nos nouveaux amis nous expliquent qu'un camion passe par ici une fois par semaine. Ils ne se souviennent pas précisément de la date du prochain passage de ce camion qui pourrait nous emmener à Saint-Louis. Par chance, il passe le soir même. Nous faisons le voyage dans la benne, entourés d'hommes, de femmes, d'enfants et d'animaux. Durant cette journée, nous n'aurons cessé de faire des aller retour entre le sable et l'eau, et c'est à moitié brûlé par le soleil que nous arrivons en centre ville, deux blancs en maillots de bain, sans papier ni argent.



Pendant longtemps, déféquer fut pour moi un art. Atteindre les sommets de cet art me pris plusieurs années. Afin de conserver le trou de bal le plus propre possible, il faut avant tout que l'excrément soit d'une consistance parfaite: ni trop dur ni trop mou. Pousser demande une réelle concentration, si la poussée n'est pas régulière, le rectum se referme avant que ne soit complètement libéré la crotte procurant ainsi une gêne réelle. Une bonne poussée franche et constante dans l'effort permet à l'anus de se dilater à la perfection laissant alors le trou de bal d'une propreté totale. Parallèlement, j'apprenais à bien viser de façon à ne pas salir la cuvette. Repères faciles à prendre chez soi mais qui demande de réelle qualité à l'extérieur, le design des cuvettes étant top souvent dissemblable. Après un certain entraînement, il était très rare que je rate ma cible. Par la suite, et afin d'améliorer la technique, je voulus éliminer absolument toute éclaboussure, même la plus infime, afin de supprimer le désagrément d'avoir les fesses mouillées. Dans ce but, je prenais l'habitude de détacher au préalable quelques feuilles de papier toilette que je disposais avec parcimonie à fleur d'eau. Quelques essais furent nécessaires afin de parfaire cet exercice complémentaire. Pas assez de papier, et vous ne faisiez que minimiser les éclaboussures, trop de papier et la crotte restait partiellement à la surface de l'eau. En fonction de sa qualité et de son épaisseur, seul un dosage précis et étudié du nombre de feuilles de papier nécessaire permet d'accompagner judicieusement la crotte dans sa pénétration de l'eau. Autres avantages de cette technique, lorsqu'elle est parfaite, celles de voir l'excrément s'envelopper dans ces feuilles de papier toilette et disparaître du regard en supprimant ainsi quasiment toutes mauvaises odeurs.

En Inde ce plaisir ne m'était plus accessible tant il était rare que mes selles aient la consistance voulue. Bien que n'utilisant guère plus de papier toilette qu'en France, je notais que notre budget, pour un mois de papier hygiénique, égalait le salaire mensuel de notre servante.



1996, ma femme et moi, décidons de changer complètement de vie. Nos deux fils sont alors âgés respectivement de six et trois ans. Après avoir vendu notre pavillon de banlieue, nous partons, avec deux valises et une cantine, vivre en Inde, sans même connaître ce pays ni y avoir fait de repérage au préalable. Nous y resterons trois ans.



Enfant, j'ai longtemps sucé mon pouce. Si fort, qu'outre une déformation classique du palais et de l'implantation dentaire, j'avais sur le pouce une forte excroissance de chair. Tout en suçant mon pouce, de l'index je caressais frénétiquement mon sourcil gauche et, de ma main droite glissée sous ma chemise je malaxais énergiquement le téton de mon sein gauche. Ainsi mon sourcil fut très vite clairsemé de trous et mon téton gauche quadrupla de volume.
Quarante ans après, il m'arrive encore quelquefois de frotter distraitement l'un de mes sourcils ou de titiller mon téton qui a conservé jusqu'à ce jour un volume nettement supérieur à l'autre.



Bien s'essuyer les pieds avant de rentrer chez soi ou chez les autres a fait partie de mon éducation. A tel point qu'il m'a fallu de nombreuses années pour comprendre qu'il n'était pas nécessaire de s'essuyer les pieds avant de pénétrer dans un bureau de poste ou dans un supermarché. Le respect se perd à la porte des édifices publics.




De nos jours, même les Indiens évitent de voyager dans l'État du Bihar tellement la pauvreté y est grande et les risques d'agressions constants. Pourtant le passé historique de cet État est l'un des plus riches de l'Inde, son art populaire, encore maintenant, l'un des plus beaux. A chacun de mes voyages dans cet État, je retrouvais le même chauffeur qui m'emmenait de Patna à Madhubani. Celui-ci, hindou très pratiquant, lâchait régulièrement le volant tout en conduisant afin de joindre ses mains dans la direction d'un des nombreux petits temples ou simples autels qui jalonnent la route. Même geste rituel lorsque nous traversions le Gange afin de solliciter la protection des dieux tout au long de ce voyage. Lors de mes derniers séjours, je ne sais si cela était dû au danger rencontré sur la route, ou à la majestueuse tranquillité apaisante de cet immense fleuve, ou bien encore, par simple mimétisme, je me surpris à faire le même geste lorsque de retour nous retraversions le Gange. L'avais-je fait physiquement ou mentalement, je ne sais plus, car sur le retour la fatigue est grande. Geste esquissé qui au-delà de toute croyance voulait seulement être un geste de remerciement pour un voyage sans incident.




En 1974, je descends, avec ma compagne Catherine Viollet, à Nice. Je tiens absolument à suivre la nouvelle réforme de l'enseignement artistique dans le domaine de l'environnement. L'école des Arts Décoratifs de Nice a été choisie comme école pilote pour tester cette réforme. Ayant seulement un niveau de première année de Beaux-Arts, j'arrive à obtenir du ministère d'être admis directement en troisième année dans le cycle de spécialisation qui me permette de suivre cette réforme. Une phrase clef, lu dans le texte de cette réforme, a motivé mon enthousiasme : "…concepts générateurs de concepts dans le cadre de méthodologie nouvelle…".J'étais persuadé que cette réforme allait entraîner une dynamique semblable à celle du Bauhaus, quelque chose dans le prolongement, entre autres, de l'architecture organique de F.L. Wright et de l'évocation du design sensoriel d'Yves Klein. Au bout d'un mois passé à suivre l'application de cette réforme, ma déception était à la hauteur de ce que fût mon enthousiasme. J'envoyais aussitôt ma lettre de démission au ministère de la culture. Heureusement, la bibliothèque des Arts Décoratifs de Nice était certainement l'une des mieux pourvues de France. J'y passais le plus clair de mon temps, particulièrement attiré par les revues japonaises telles que Ideas, pour le graphisme, et Japan Architect. Afin de dénoncer publiquement l'échec futur de cette réforme et d'illustrer mes points de vue sur l'environnement, j'envoyais un long et délirant manuscrit à la revue Créée. J'y écrivais notamment une archéologie du futur. Au cours de celle-ci, je décrivais le démantèlement de la Chine et de la Russie en de multiples États indépendants. Les multinationales se substituaient petit à petit à la notion d'État, délaissant les terres riches au profit des peuples habitants les terres pauvres, ceci afin d'éviter toutes révoltes, interne ou externe, qui les freineraient dans leurs ascensions. J'y décrivais encore l'avènement d'un environnement, d'une architecture et d'un design, objectif et subjectif que je ne comprends plus trop.



"La beauté est une promesse de bonheur", Stendhal.

"…rien qu'une promesse", H.P.



L'art contemporain est un terme révolu. L'art contemporain sera un terme qui désignera l'art d'une période donnée, comme cela fut le cas jadis pour l'art nouveau ou l'art moderne. Le terme d'art contemporain désignera l'art qui s'est fait de l'après seconde guerre mondiale à la fin des années 70.

Anticipant sur la fin de l'hégémonie des idéologies, l'histoire de l'art, depuis la fin des années 70 et le début des années 80, s'épanouit loin de tout label et de toute étiquette, attentive avant tout à l'émergence d'une diversité culturelle sans précédant.




Adolescent, totalement réfractaire au mode traditionnel d'enseignement, je m'interdisais toute lecture de livres sérieux avant l'âge de 40 ans. Je faisais le pari insensé de démontrer que l'on pouvait réussir sans aucune aide ou influence intellectuelle extérieur. J'étais aussi persuadé, et je le suis encore, qu'il n'y a rien à dire, rien à écrire ou si peu. J'avais le sentiment que toute pensée aboutie allait vers le dépouillement, que tout le reste n'était que verbiage, occupation, divertissement et commerce. Aujourd'hui, j'en paie encore le prix, tant en l'absence de bases scolaire et universitaire, il m'est dur d'aligner deux phrases correctement écrites, tant mon esprit a du mal a structurer mes pensées.

Je ne voulais surtout pas, et je ne veux toujours pas, "apporter une pierre à l'édifice". Mon unique souhait a toujours été de pouvoir ôter au moins une des pierres à ce "mur de l'orgueil" que l'être humain n'a de cesse de vouloir, à tout prix et coûte que coûte, édifier. Ce qui fut une révolte est devenue, petit à petit, une colère. Ma colère est à la hauteur de ma naïveté, de mon absence de maîtrise intellectuelle qui m'empêche de gérer et d'exploiter, comme tout un chacun, mes pensées.

Adolescent, je m'inventais ma propre philosophie faite de bric et de broc, mélange de Pascal, d'Abraham Merrit (père de l'héroïc fantaisy), de bribes de théories physique et métaphysique. Bien qu'ignorant tout du Bouddhisme, j'étais persuadé que tout n'était qu'illusion, que nous n'existions pas. Les souffrances tout au cours de l'histoire de l'humanité, et qui semblaient propre à la condition humaine, étaient telles qu'il ne pouvait pas en être autrement. De plus, il semblait évident que la seule chose dont l'homme ne pourrait jamais prouver l'existence physique est la conscience. La seule preuve éventuelle de notre existence était et resterait immatérielle. J'écrivais alors mon histoire de l'humanité, de son origine à sa fin. Le début de cette histoire était conforme à la théorie du big-bang. L'univers était né du de deux antimatières qui, s'étant télescopées, s'étaient transformées en matière. Puis, progressivement, l'homme n'avait eu de cesse de vouloir se rapprocher d'un état de conscience le plus accompli. Un niveau de conscience qui lui permette de concilier souffrance et bonheur, d'assumer, de pouvoir vivre aux côtés de cette contradiction inhérente à sa condition, à son histoire. Le stade définitif de cette quête mis en présence les deux derniers êtres humains. Leur niveau réciproque de conscience était tel qu'elles fusionnèrent dans un dernier, infime et presque imperceptible instant. Bonheur et souffrance s'accouplaient. Ainsi disparut l'être humain, de cette union naquit le néant. Tout comme deux antimatières avaient pu donner naissance à l'univers, le télescopages de ces deux stades ultimes de conscience retrouvaient les abîmes qu'ils n'auraient jamais du quitter, retournant à la matrice originelle.
Aussi, ma quête fut, et est toujours, cet accouplement des sentiments contraires que j'appelais le nihilisme esthétique.

Je m'imaginais l'œuvre d'art idéal : visages de sculptures Kouros de la Grèce archaïque ou de divinités hindoues de la période Gupta, visage d'une Vénus de Botticelli, tous d'une effarante beauté et sérénité auxquels il ne manquait plus qu'une larme. Une simple larme afin que ce qui pourrait-être perçu comme simple béatitude devienne enfin œuvre d'art idéal, manifeste artistique de l'accouplement des sentiments contraires.
Durant toute ma carrière de critique d'art, je n'ai eu de cesse militer pour la réconciliation de Matisse et de Bonnard, du pragmatisme et de l'intimisme.

Si je haïssais le verbe et la pensée, la littérature et les intellectuels, seules quelques phrases trouvaient grâce à mes yeux allant jusqu'à me servir de guides tout au long de ma vie. Je les habitais à ma manière, ne sachant jamais vraiment si je ne les avais pas transformées au fil des ans, voir carrément inventées.
Ainsi ces quelques phrases:
"C'est au contact de la nature, que l'homme comprend pourquoi il échoue, ou plutôt, il se résout à ne jamais rien comprendre de tout cela. Et, loin de l'effrayer, cette résolution l'apaise comme un acte suprême d'intelligence". (attribué à Roland Barthes)
" A l'orée d'un bois dont les arbres sont des idées élancées et chaque feuille une pensée aux abois, le végétal nous dévoile le fond damné d'une secte animal, ou plus précisément, une vieille angoisse d'insecte qui se réveille homme." (Ghérasmin Luca à propos des jardins du Comte de Bomarzo).
Ou encore cette phrase déterminante que je m'appropriais afin de définir la Figuration Libre et qui me valut, lors de sa publication, les foudres de la presse: "pratiquer une accumulation de faits incompréhensibles jusqu'à ce que naisse la compréhension". Ne sachant plus si cette phrase était à l'origine la définition de la mise en scène selon Brecht ou Beckett, j'écrivais à ce dernier afin de le savoir. Il eut la gentillesse de me répondre. Cette phrase n'était pas de lui et il en ignorait l'origine. Peut-être appartient-elle à Brecht, peut-être l'ais-je trop transformé ou même inventé ? Voilà de quoi je suis fait, d'invraisemblance.
C'est ce surplus incontrôlable de naïveté laissant jaillir un flot incessant de pensées hétéroclites qui me valut, de la part de mon ami Bernard Lamarche-Vadel le surnom de Raoul Paimpon, l'homme gyrophare.
A travers ce verbiage et ces images, je vous invite à la découverte de ce personnage que j'ai toujours autant de mal à maîtriser.




Après plus d'une année passée en Inde, ma lecture de l'art moderne et de l'art contemporain occidental se rapproche de celle que l'on peut avoir communément de la musique classique.
Nous avons eu très peu de compositeurs, de créateurs de talent et nous le savons. Matisse, Malevitch, Duchamp et, entre autres, Picabia ont connu jusqu'à la fin des années 70 une multitude d'interprètes.
Le talent de certains interprètes égalait celui du "maître" et a rejeté dans l'oubli nombre d'artistes sans talent qui se croyaient compositeurs, créateurs (que d'humilité!) d'un style nouveau. Pouvoir dire que Klein et Rothko furent de sublimes interprètes de Malevitch serait un un vrai plaisir.
Relativiser et nuancer l'idéologie de la créativité et revaloriser le concept d'interprétation dans les beaux-arts doit être une priorité. L'hégémonie d'une telle idéologie est d'une terrible nuisance intellectuelle et morale dont souffre, et parfois même meurt, l'artiste.





Après Cucchi, Chia, Clemente, après les 3 Suisses, les 3 jours, les trois mousquetaires, trois artistes : Combas, Crumb et Chaissac qui ont comme point commun concret uniquement celui d’avoir été les Trois Grâces d’un collectionneur averti, Didier Loiselet. De fait, durant plusieurs années, ce collectionneur singulier achètât toutes les œuvres qu’il pût acquérir exclusivement de ces trois artistes, Combas, Crumb, Chaissac.
Singulier collectioneur pour artistes singuliers. Singulier est bien l’adjectif qui semble le mieux qualifier ces trois artistes. Singulier, irréductible. Trois œuvres irréductibles, inflexibles. Trois œuvres qui n’obéissent à aucune règle, ne font allègeance à aucun mouvement, à aucune tendance. Lorsque l’œuvre de Combas embrasse la figuration libre c’est pour mieux la régir, l’absorber, la dissoudre en un seul artiste, en faire le synonyme exclusif de son patronyme. L’œuvre de Robert Crumb surgit d’une tendance underground, surgit et persiste, fait de l’underground son gite, sa manière de vivre et d’exister, de résister, aujourd’hui loin des Etats-Unis dans un petit village rural du Sud de la France. Lorsque l’œuvre de Chaissac s’apparente à l’art brut, elle s’en dissocie par elle même aussi tôt ; lorsqu’elle s’apparente à l’art moderne c’est aussi tôt pour mieux revendiquer sa singularité, sa forme brut sans allègeance à aucun maître, à aucun mouvement, à aucun état ne fut-ce celui des auteurs d’art brut.
Cette exposition est un éloge à la singularité, un manifeste à la résistance. Point de non retour à l’aller sans retour de toute (trans)avantgarde. Par ce manifeste de la singularité, cette exposition est une porte ouverte pour un regard sur l’art contemporain sans frontière capable d’éduquer notre vigilance à accepter et à découvrir enfin un art contemporain qui ne soit synonyme ni de marché, ni d’occident. Un art contemporain sans synonyme, enfin libre et magnifiquement hautain. Constructivement hautain. Hautain, hardi, leste et gaillard ! Simplement avoir la tête haute, au-dessus de la mêlée, des consensus, des collutions et coalitions. Le regard libre.


Hervé Perdriolle textes (suite)